samedi 30 août 2014

Where we're @ ? 2013, une année de roguelikes

Cet article est ce que les anglophones appelleraient un "placeholder". Par exemple, la date y est fausse. Oh, c'est celle d'aujourd'hui, pour sur, mais à l'origine, il parut sur RPGFrance en mars 2014 après avoir végété quelques temps dans les méandres du planning éditorial (je l'avais rédigé dans les premières heures de janvier). Dans le même ordre d'idée, les images qui l'illustrent sont toutes empruntées à RPGFrance (que je remercie au passage).
Aussi, je vous encouragerais à ne porter qu'un intérêt distrait à ce qui entoure l'article. Ce qui est intéressant, c'est ce qu'il dit. Quoi que ce fut son rôle originel, ne le pensez pas comme une rétrospective per se, voyez-y le manifeste du présent blog. Un blog de rogues et de rôles, partial et partiel.



Le mot fut à la mode cette année. "Roguelike". Dans le petit monde du jeu indé, c'est presque si un jeu sur trois ne se revendiquait pas d'une façon ou d'une autre de l'inspiration d'un des Grands Ancêtres du jeu de rôle informatique, et bien souvent à raison. C'est qu'il n'est pas le père d'un genre pour des prunes, le Chtulhu du dungeon crawlisme, et qu'il ne se résume curieusement pas à la somme de ses composantes. Un roguelike est une expérience de jeu, et l'expérience de jeu, c'est le grand truc du game-design moderne, AAA comme indé. La grande différence, c'est que là où le AAA nous balance de l'expérience de jeu cinématographique à forte tendance "cutscene dans ta face" comme le premier Tomb Raider ou Assassin's Creed venu, l'indé, plus près de ses sous, se porte forcément plus sur les idées de gameplay, moins tape à l'oeil mais tout aussi efficace pour retenir l'attention de son public. D'où génération procédurale, permadeath et grosse bastonnade sur fond de pixels mignons.
Qu'il s'agisse de platformers, de shoots survoltés ou de jeux d'exploration plus "sages", les ingrédients du roguelike se sont retrouvés cuisinés à toutes les sauces.
C'est hype, y en a partout et, évidemment, ça fait grincer les dents des spécialistes et des intégristes de tout poil, à mes yeux, totalement à tort. On a dit ces nouveaux arrivants trop peu RPG, trop peu construits, voire tout simplement trop modernes (quoi que ça puisse bien vouloir dire), et j'ai du mal à voir la corrélation, tout vieux du genre que je sois. Pour faire une distinction qui n'a pas vraiment lieu d'être, on s'est mis à parler de "roguelike-like". Le premier du genre semble avoir été The Binding of Isaac, sorte de Zelda procédural sous acide, gore à l'excès et punitif à souhait. Pourtant, si vous demandez à nombre de gamedesigners dans la branche, on vous dira souvent que oui, Isaac est un roguelike. Il en a tout les mécanismes. Il est même passé à deux petits points d'être le roguelike de l'année 2011 chez ASCII Dreams, un site qui, comme son nom l'indique, se veut pourtant un repaire de vieux fous...



Isaac et un de ses pères spirituels, Sword of Fargoal

Comprenez-moi bien : je suis comme tous les joueurs qui sont venus au roguelike avant l'avènement du tout souris et de l'interface graphique à tout prix, je l'aime au tour par tour et en ASCII, mais pourquoi diable Isaac ne pourrait pas en être ? En 2013, de Spelunky à Risk of Rain, ses rejetons se sont démultipliés. Les questions qu'ils posent sur le genre aussi. Don't Starve est-il un simple jeu d'aventure qui prône la découverte et l'exploration dans un monde hostile ? Rogue Legacy est-il juste un metroidvania aléatoire et bordélique ? Ou peuvent-ils prétendre être des roguelikes ? Teleglitch, shooter procédural en vue de dessus, profite déjà de ce statut, alors pourquoi pas les autres ? La question se pose et chacun à sa réponse. La mienne est simple : quoi que j'ai toujours un peu de mal à ouvertement les nommer comme tels, la finalité, c'est que je joue à tous ces jeux exactement de la même manière que je joue à ADOM, à Nethack ou à n'importe-quel autre roguelike avéré, qu'il ait ou non une interface graphique ou une génération procédurale (car oui, il existe des roguelikes dont les niveaux sont prédéterminés).
Je ne suis pas le seul à le penser, d'ailleurs. Suite à la sortie de Risk of Rain, Darren Grey, animateur de Roguelike Radio, disait "roguelikes are games that make you *play like a rogue* - sneaky, thoughtful, scared, careful as hell, and using every damn trick of the rules."
Traduction à la volée : "Les roguelikes sont des jeux qui vous font jouer comme un rogue : discret, réfléchi, effrayé, circonspect et exploitant les limites des règles du jeu."
Traduction à la Skoeld : "Un roguelike est un jeu de survie."

A bien y regarder, la seule réelle différence entre le tout jeune Don't Starve et le vieux Wilderness (1987), c'est le temps réel.
Et les roguelikes en temps réel ne sont pas une idée nouvelle. Sword of Fargoal fut le premier à expérimenter la chose et ce dès 1983. Dix ans plus tard, Dungeon Hack avait tenté le coup dans l'interface même d'Eye of the Beholder III, chantre du dungeon crawler à la première personne. Diablo lui même est un clone d'Angband, pensé à l'origine pour se jouer au tour par tour et s'inspirant des mécanismes développés pour les interface souris des jeux Gold Box. Il n'y a pas de permadeath, certes, mais, arrangé à la sauce action, tout le reste y est, des étages générés aléatoirement à chaque nouvelle partie au loot à identifier. Et si je vous dis que les town portals datent de Moria (1982), dont Angband est une variante, vous comprenez encore mieux les similitudes. Le roguelike peut définitivement se jouer en temps réel. De toute façon, à voir un projet comme Legend of Dungeons, dont le "scénar" est volontairement celui de Rogue (descendre 26 étages, ramasser un trésor et remonter), le doute n'est plus réellement permis... Quite à en rajouter une couche, j'ai personnellement toujours vu Demon Souls comme un rejeton bâtard du genre : coincé par ses propres lacunes techniques et obligé d'en faire des éléments de gameplay, il a su par la suite se tailler une réputation au-delà de son rayon d'action initial, s'axant sur une image hardcore et sans concession où la mort est votre plus fidèle compagnon. On pourra toujours arguer sur des points de détail, Demon et Dark Souls ne sont pas procéduraux, n'ont pas de permadeath, mais le sel y est et, pad en main, on ressent ce même urgentisme survivaliste.



Risk of Rain et Teleglitch, ou quand le roguelike se fait shooter.

Les Souls, exemple volontairement extrême, mis à part, tout ces jeux que je viens de vous citer sont des roguelikes, je n'en démordrai pas. En compagnie de nombreux autres, ils font partie de ce qu'on commence à nommer avec emphase la "4eme génération". Des roguelikes au gamedesign desquels on a infusé de la bouillantissime effervescence du monde de l'indie actuel pour créer de nouvelles façons de s'enfoncer dans les donjons du genre. Ca ne se joue pas tout à fait de la même façon, ça se regarde très certainement très différemment, mais la base reste immuable, voyez Desktop Dungeons. Sans compter qu'au travers de tout ça, de nombreux roguelikes pur jus viennent s'inviter à la fête. En dehors de The Pit qui a pris le relais de Dredmor en guise de tête d'affiche de ce courant plus "légitime", l'année 2013 a vu apparaître pas mal de choses intéressantes. Difficile par exemple de ne pas penser qu'un jeu comme Dungeonmans n'aurait jamais pu se kickstarter sans le contexte Isaacquien actuel. Pareillement, ToME, pourtant déjà vieux de quelques années, est enfin sorti en version 1.0, s'est offert le luxe d'une double version gratuite/payante (totalement identiques) en débarquant sur toutes les plateformes en ligne connues et a complètement explosé ses records de connections. Plus vieux encore, ADOM, sorti en 1994 et dont le développement avait été arrêté en 2002, s'est acheté une seconde vie (et un tileset de toute beauté) avec le financement participatif. Pensons également à des trucs plus petits, voire anecdotiques, comme Wazhack ou Rogue's Tale, des projets commerciaux à l'aura riquiqui qui, c'est certain, se seraient retrouvés le bec dans l'eau sans le double effet de mode procédural/participatif. Et comment ne pas citer Hammerwatch, succédané de Gauntlet qui n'a à première vue rien à faire là, mais dont la vue top-down et le parfum d'arcade ont assurément profité de la marée ?
Autre versant du financement alternatif, on notera aussi bundles et packs divers qui proposent souvent un petit biscuit parfum roguelike en guise de dessert (voir le sympathique 1Quest sur FrenchCows, par exemple).

De l'autre côte du monde, où l'on crée des donjons labyrinthiques depuis 1984 et Dragon Slayer, Playism (à qui on doit la version PC "HD" de La-Mulana) a traduit One Way Heroics (qui, au moment où j'écris ces lignes, a été greenlighté il y a moins de 24heures), mélange rogueliko-JRPG en apparence fort classique que le concept loufoque de continuellement faire scroller l'environnement vers la droite pour échapper à l'ombre qui s'étend sur le monde rend réellement haletant. L'éditeur a, à demi-mot, affirmé vouloir se pencher sur le genre. Mais rien n'indique pour autant que quoi que ce soit de concret ne passe les frontières nippones dans un futur proche, malheureusement. A moins qu'un fou ne se décide à traduire Elona+ (seule version encore activement développée d'Elona, dont la dernière update date de 2010 mais qui, elle, existe en anglais, si vous êtes curieux).

Reste que tout ça, c'est du projet commercial, et que le coeur du roguelike est freeware. Et là, c'est la fête à la release, où tout ou presque reste en beta pendant huit ans et demi, avec au bas mot une mise à jour par semaine. Ces gens sont fous. Pour ne citer que les deux derniers de l'année, Fujo et The Last Rogue sont aussi classiques qu'amusants et disposent d'interfaces graphiques fort agréables. Dans un style un peu plus... particulier, je ne saurai que trop vous conseiller de jeter un oeil à Are You There Theseus?, une addictive étrangeté au look de ZX Spectrum.
Quant à tordre son propre principe dans tous les sens, le genre n'a pas attendu Isaac et les indés. On s'amuse déjà à ça depuis quelques années avec des événements comme le 7DRL printanier, réunissant amateurs éclairés (dont votre serviteur, qui betateste à la chaîne pendant cette période) et stars du genre (on a vu Darren Grey, que je citais plus tôt, ou Ido Yehieli, auteur de Cardinal Quest, s'essayer à l'exercice). Personne n'en parle en dehors des gens "qui savent" mais, dernièrement, à côté de trucs relativement sages comme MGRL, on a eu des concepts aussi étranges que des platformers au tour par tour (Bump! -en flash, mettez votre clavier en qwerty- ), des jeux musicaux et des labyrinthes stricto-sensu. 86856527 est l'un de ceux qui a eu le plus de retour dans la sphère indée, et c'est autant un improbable puzzle au titre impossible à retenir qu'un vrai bon roguelike. Un des plus réussis de l'année, Attack the Geths, comme son nom l'indique un fangame Mass Effect, n'est même pas procédural et se contente d'une unique carte et d'un mode "survival" qui boucle à l'infini.
Et quand ils ne passent pas par les jams (le dernier de 2013 fut le Trials of Oryx), quelques projets fanfarons se payent le luxe d'aller se pavaner sur le Greenlight, comme Famaze qui, faute de votes, a fini par sortir gratuitement, en flash.



ADOM et ToME, deux acronymes, deux légendes. C'est vieux mais c'est neuf.

Et ce n'est pas fini, on continue de développer de nouvelles façons de penser le roguelike, dans et en dehors de sa sphère directe.
L'an prochain, outre un nouveau 7DRL qui s'annonce particulièrement chargé, on attend au moins Cardinal Quest II pour accompagner la resortie d'ADOM (toujours actuellement en "prerelease"), et pourquoi pas The Veins of the Earth, premier mod complet de ToME dont la beta est réellement excellente. La vraie grosse nouvelle de 2014 semble toutefois partie pour être le retour de Kornel Kisielewicz, auteur de DoomRL, avec un nouveau projet, Jupiter Hell (basiquement : DoomRL en 3D).
Dans la bulle indée, où les barrières du genre sont une notion relative, Dungeon of the Endless est parti pour nous la jouer FTL en mélangeant roguelike et stratégie (ici du tower defense), The Curious Expedition a une carte à la Civilization et des combats à la japonaise, Road not Taken semble être un émule de Desktop Dungeons, Catacomb Kids suit la voix de la plate-forme Spelunkyienne et Crypt of the NecroDancer, assurément celui qui me titille le plus, présente une étrange idée de roguelike "with a twist", au sens propre. Y aura aussi la suite de Binding of Isaac, annoncée avec un mode coop. Ou Nuclear Throne, qu'on a eu en accès anticipé. Et oserai-je citer Dungelot 2 ? Ben oui, j'ai osé.

Même les Minecrafteries ont franchi le pas, qu'elles soient customisables ou non. Cette année, le 7DRL (encore lui) a vu apparaître le très très sympathique Like a Rogue et pas mal de jeux greenlightés en 2013 devraient voir arriver leurs versions 1.0 dans les mois à venir. Delver (qui a considérablement évolué depuis l'alpha) et Eldritch, le machin lovecraftien, sont des dungeon crawlers procéduraux tout ce qu'il y a de plus "simples" mais ils ne sont que la partie immergée de l'iceberg. Derrière, quelques monstres tentaculaires comme 3089 attendent, sagement, qu'on veuille bien venir les titiller, eux, leurs cubes, et leurs mondes gigantesques. Dans un genre totalement bourrin, on a aussi Paranautical Activity, clone procédural et complètement pété d'Heretic. Le voxel, c'est moche, mais c'est facile à faire, ça a le vent en poupe et le roguelike en profite.

Dernier support à voir débarquer du roguelike, les tablettes ont eu ces derniers temps droit à autant de conversions de Hack ou Angband que de projets rigolos. Hoplite et Pixel Dungeon méritent sans aucun doute une petite place dans les très bons roguelikes de l'année. Quant à ce que nous réserve 2014 de ce côté là, aucune idée. Aussi si vous n'avez pas envie de creuser vous-même, il vous faudra lire nos Mercredis dans la Poche pour profiter de nos hasardeuses découvertes.



Après The Pit, Crypt of the NecroDancer. GOTY 2014, j'annonce.

On vous a dit que l'année 2013 était pauvre en RPG ? Mettez-vous aux roguelikes, on a été servis. Et je n'ai pas ici cité le quart des trucs intéressants.
Mon jeu de l'année 2013, c'est The Pit. Pas mon "RPG", hein, mon "jeu". Et derrière, les autres se bousculent, d'Hammerwatch à Spelunky, d'ADOM à Rodney, des pelletées de mises à jour qui pleuvent chaque week-end aux versions alpha/beta de projets naissants. Si ce n'est pas encore fait, explorez Don't Starve et mourrez dans Teleglitch, on n'en a pas parlé sur RPGFrance, mais c'est du bon. On redécouvre ces dernières années un glorieux passé trop longtemps ignoré et le petit monde de la fée permadeath est en pleine effervescence. Dans tous les genres et sous toutes les formes, le roguelike est à la mode, les devs en foutent partout, ces gros dégoûtants, et nom de Dieu j'aime ça.